Une histoire de vins naturels

Interview avec Kuba Janicki, co-propriétaire du bar à vin « Chabry z Poligonu » et journaliste œnologique.

Auteur(s) : Marynia Jacher / Julien Hallier Publié le : 21/07/2021

Une histoire de vins, tout naturellement !


Nous discutons avec Kuba Janicki, véritable gourmand, co-propriétaire du bar à vins Chabry z Poligonu et journaliste œnologique.

Salut Kuba, parles-nous un peu de toi, qui es-tu ?

Je m'appelle Kuba Janicki, je suis Cracovien de souche, la quarantaine sur les épaules. Je travaille dans la publicité depuis 20 ans en tant que directeur créatif dans la plus grande agence de Cracovie. Une fois la nuit tombée, je me transforme en co-propriétaire du bar à vin « Chabry z Poligonu », en journaliste œnologique, journaliste culinaire, tout simplement... en gourmand ! (rires)


D'où vient ta passion pour le vin ?

Quand j'avais 25 ans, j'habitais à côté d'un magasin de vins. Je venais souvent voir le caviste, un gars hyper sympathique, non seulement pour acheter son vin mais aussi très souvent pour en discuter. Ces rendez-vous informels rassemblaient de plus en plus de monde et se transformaient en fêtes, créant un véritable centre d’amateurs de vins dans le quartier. Ce fut les débuts de ma romance avec le vin. Ensuite, j’ai lancé un blog dans lequel j’écrivais sur tout ce qui touchait au monde viticole de près ou de loin. Quelques années plus tard, je suis tombé fou des vins bio et des vins naturels. Et je dois te dire en secret que cet amour continue de grandir !


Comment t’est venue l'idée d'ouvrir un bar à vin ?

L'idée d'ouvrir un bar à vin est née il y a un dizaine d’années. J'ai été inspiré par mes bars français préférés comme le Vin au Comptoir d’Yves Camdeborde à Paris ou encore le Vin Vivant de Pierre Jancou. Je rêvais que Cracovie ait un tel endroit avec des vins naturels. Et que ce soit aussi un endroit à l'atmosphère détendue et décomplexée. Un wine bar avec un tout nouveau style. Tu vois ? Je pense que le terme « hypster » colle parfaitement à cette image. Après, je dois admettre que les vins naturels étaient et sont encore un peu difficiles à trouver en Pologne. Ils sont de ce fait plus chers aussi. Mais le prix n’a pas vraiment d’importance pour moi.


Qu’est ce qui est décisif alors pour toi ?

Ce qui compte surtout, c'est que le vin raconte une histoire. Et la qualité bien sûr. Son originalité aussi. Du coup, j'ai des vins d'anciens producteurs, des pionniers du mouvement naturel comme Catherine et Pierre Breton du domaine Breton, ou Les Vigneaux – Ardèche de Christophe Comte mais j'ai aussi des bouteilles de très jeunes vignerons comme Julien Peyras ou encore Fabien Jouves. Je trouve que la qualité des vins naturels français est de loin la meilleure, du coup 70% de la carte est constitué de vins qui viennent du pays gaulois.


Comment choisis-tu les vins qui seront dans la carte ?  Quel est le processus de sélection ? Est-ce que tu te rends personnellement chez les vignerons ?

Cette vision si romantique de voyager de domaine en domaine et de goûter chaque vin est une si belle vision ! Mais cela signifierait que la personne ait des ressources financières infinies et puisse se le permettre et... ce n’est malheureusement pas mon cas ! (rires) Jusqu'à récemment, le monde des vins naturels était très étroit et fermé, et il était facile de connaître tout le monde ou presque. Aujourd'hui, je pense qu'il y a plusieurs milliers de personnes qui font du vin naturel, il est donc impossible de connaître tout le monde et il est de plus en plus difficile d’être à jour. Généralement, avec le vin, j’ai cette sensation que plus je m’informe dessus, moins j’en sais ! C’est comme cela avec tout le reste d’ailleurs (rires). J’aime bien me positionner comme amateur/ignorant dans ce monde. Cela me procure beaucoup de liberté et de joie (rires).

 

Ce qui compte surtout,

c'est que le vin raconte une histoire.

Comment choisis-tu les vins alors? :)

Tout d'abord, je me base sur les producteurs que je connais car je sais à quoi m'attendre de leurs vins. Toutefois, il m’arrive de plus en plus souvent de choisir des vins de producteurs que je ne connais pas, mais dont j’ai lu et écouté de bonnes opinions. Parfois, j’y vais complètement à l’aveugle, je me fie à mon intuition. Après, quelque chose doit m’inspirer : l’histoire du vin, le cépage, la bouteille ou encore l’année de production. Comme disent les français, ça passe ou ça casse. Je me laisse la liberté totale d’expérimenter. Il arrive parfois que le vin ne me plaise pas du tout. Je le garde quand même dans la carte et, lorsque l’on me pose des questions à son sujet, je reste très honnête en disant, que pour moi, c’est un vin difficile. Au début, j’étais surpris que des vins qui ne me plaisent pas puissent plaire aux autres. Aujourd’hui, je pense que chaque vin trouvera son amant. Et comme on dit, les goûts et les couleurs ne se discutent pas.

Et proposes-tu des vins polonais dans votre carte ?

Oui, nous avons des vins polonais ! Ce n’était pas prévu au début car il existe déjà des endroits qui proposent des vins naturels polonais. Cependant, à cause de la pandémie du COVID-19, les vignerons se sont retrouvés face au problème de vente de leur production. Dans plusieurs pays, les vignerons se sont associés les uns aux autres et ont lancé la campagne « Drinking against Sinking ». En Pologne, il n’y a pas eu d’initiative similaire, cependant beaucoup de restaurateurs se sont sentis solidaires avec les vignerons. Et nous aussi. Mes associés et moi-même avons décidé de nous ouvrir aux vins polonais et de soutenir leur consommation en les introduisant dans notre carte. Notre premier vin polonais vient d’un tout petit et jeune vignoble situé à Przybysławice, non loin de Cracovie. Marcin Litwa, jeune débrouillard fasciné par les vins de Toscane, s’est lancé dans la production de vins. Le Pet Nat que nous lui avons commandé s’est vendu en moins de deux ! Bref, nous aurons des vins polonais en permanence maintenant.

Comment définirais-tu la situation du vin polonais ? Penses-tu que la Pologne puisse devenir un jour une destination pour les amateurs de vins ?

La Pologne n'était pas une destination viticole car ce n'était pas un pays producteur de vins jusqu'à récemment. En fait, la Pologne avait de véritables traditions viticoles jusqu'au 17ème siècle, puis il y a eu un refroidissement climatique. La mer Baltique avait gelée et il était possible de se déplacer en traîneau de la Pologne vers la Suède ! La Pologne était donc devenue un pays trop froid pour la culture de la vigne. La viticulture est un phénomène très récent. Quand j'ai commencé à m'intéresser au vin, il y a 15-20 ans, il n’y avait qu’un seul producteur qui vendait légalement son vin, et aujourd’hui il y en a environ 300 ! Le rythme du changement est incroyable. Et cela est malheureusement lié... au réchauffement climatique. Si tu connais des négationnistes du réchauffement climatique, et bien invite les en Pologne et fait leur goûter le vin produit il y a 10 ans et le vin produit aujourd’hui. Ils goûteront ce que c’est le réchauffement climatique (rires). La quantité de sucres dans le raisin, qui détermine si le vin sera bon ou pas, est bien plus élevée aujourd’hui qu'il y a 10 ans. Aujourd'hui, il est possible de faire des vins dont on pouvait seulement rêver auparavant. Par exemple, il y a 10 ans, presque personne n'imaginait qu'il serait possible de cultiver des vignes nobles comme le Riesling ou le Pinot Noir par exemple. Tout à coup, il s'avère que vous pouvez faire de très bons vins à partir de ces raisins en Pologne. Le développement est donc incroyable. Une dizaine de nouveaux vignobles s’ouvrent chaque année. Les vignerons recherchent des moyens de se distinguer les uns des autres, certains vins sont plus régionaux, certains choisissent des nouveaux styles de production, d'autres optent pour une macération longue, ou des vins oranges, des fermentations spontanées ou encore des vins pétillants. D’ailleurs, la cuisine polonaise, elle aussi, change très rapidement et s’affine à mon goût. Je pense que la Pologne devient une destination de plus en plus intéressante pour les hédonistes à la recherche du bon vin et de la bonne nourriture.

Le rythme du changement est incroyable. Et cela est malheureusement lié... au réchauffement climatique.
Si tu connais des négationnistes du réchauffement climatique, et bien invite les en Pologne et fait leur goûter le vin produit il y a 10 ans et le vin produit aujourd’hui.
Ils goûteront ce que c’est le réchauffement climatique.


Où trouve-t-on du bon vin polonais ?

Chez nous bien sûr ! (rires) A l’heure actuelle, heureusement, beaucoup de restaurants et de bistrots proposent des vins polonais.  Ensuite, il y a de plus en plus de bars à vin, surtout dans les grandes villes et aussi quelques magasins spécialisés. Malheureusement, il n’est pas encore facile de trouver du bon vin polonais dans les magasins de type grandes surfaces. Après, le mieux, c’est de prendre le temps et se rendre personnellement dans les domaines viticoles.

Quelles régions viticoles polonaises valent le détour, et pourquoi selon toi ?

Je recommande particulièrement deux régions. Tout d’abord, la région du Jura Cracovien connue pour son emplacement exceptionnel, ses sols excellents, ce qui donne des vins très surprenants et des vins qui peuvent donner des résultats complètement différents à quelques kilomètres près. Puis, la région de la Gorge de la Vistule de la Petite Pologne, à proximité de Janowiec et de Kazimierz Dolny. Les domaines sont magnifiquement situés et leurs vins sont fantastiques. Et puis, Sandomierz et ses alentours valent aussi le détour. La ville de Sandomierz me fait beaucoup penser d’ailleurs à Carcassonne. Les châteaux de Janowiec et Kazimierz aussi, ce sont de vraies perles touristiques et viticoles.

 Quels sont tes vins polonais préférés?

Sans aucun doute le vin GostArt, produit dans le vignoble Gostchorze par Guillaume Dubois, un Français installé en Pologne. C’est un vin mousseux créé selon l'école française, à partir de fruits polonais. C’est une merveilleuse combinaison ! Ensuite je dirais le Solaris et l’Hibernal du domaine de Turnau, situé au nord profond de la Pologne. Ces vins, quant à eux, ont une touche allemande, c'est-à-dire une acidité très élevée et un peu de sucre résiduel mais cela s'équilibre bien. Comme tu vois, cela montre bien la palette de possibilité des vins qui peuvent être produits en Pologne. Après, ce ne sont pas complètement des vins à la française ou à l'allemande car ils ont tous leur propre style bien polonais.


Et quid des vins d’autres pays ?

En ce qui concerne les vins de ma vie en général, le vin numéro un pour lequel je pourrais me faire couper est le Château Musar du Liban, dans la vallée de la Beka. Le domaine existe depuis 80 ans, il est situé dans une région dangereuse du Liban déchirée par la guerre, près de Beyrouth. Leurs vins sont véritablement choquants, complexes, sauvages, beaux. Puis, le Barbaresco produit par la coopérative Protoris de Barbaresco. Ce sont de grands vins et, parce qu'ils sont issus de coopératives, ils sont élaborés sans aucune tension. Et surtout j’aime le fait que leur marketing ne soit pas plus important que ce qui se trouve dans leurs bouteilles.


Quels sont tes rêves les plus désirés ? 

Je fête mes 40 ans cette année. A cette occasion, je voulais manger dans le meilleur restaurant du monde chez Massimo Bottura à Osteria Francescana. Et ça, c’est fait ! Ensuite, je voulais me rendre au Château Musar au Liban. Malheureusement, mon voyage a dû être reporté… mais crois-moi, ce n’est qu’une question de temps ! (rires)

 
Propos recueillis par Marynia Jacher, chef de projet Meetings & Events à l’agence Destination Pologne

Crédits photo
: Kuba Janicki, Chabry z Poligonu, Winnica Turnau, Winnica Przybysławice

Nous vous invitons à lire en outre l'article suivant : Du vin polonais ? Oui, s’il vous plaît !
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